À l’épreuve de la Grande Guerre (1914-1920)

Partez à la découverte du droit du travail à l’époque de la grande guerre, notamment la mise en œuvre de la journée de travail de 8 heures.

Il y a 80 ans, "la journée de travail de 8 heures", par Michel Cointepas

A la mi-novembre 1918, dans l’euphorie de la Victoire, rien ne laissait présager le vote de cette loi. Le 24 octobre une proposition de résolution avait été déposée devant la commission du Travail de la Chambre, suscitant le 26 novembre un rapport relatif aux « principes en matière de législation internationale du Travail devant être introduits dans le Traité de Paix » en préparation. Y figurait « le principe » de la journée de 8 heures « pour les usines à marche continue et les mines », pour bien peu de monde donc (et des hommes essentiellement). La commission adopta deux jours après un texte proposant le principe de la journée de dix heures dans l’industrie et de 8 heures dans les usines à feu continu (on constatait qu’elle se mettait en place dans les verreries mécaniques modernes avec les 3X8h). Trois jours avant était adoptée une résolution de l’Association française pour la protection légale des travailleurs, regroupant le gratin des réformateurs sociaux de tous bords, syndicalistes modérés et patrons modernistes, préventeurs et hygiénistes, hauts fonctionnaires sociaux dont A. Fontaine, directeur du travail, son fondateur, et les inspecteurs du travail les plus attentifs aux réflexions comparatives sur les avancées législatives étrangères. La proposition de l’AFPLT proposait également d’introduire les 8 heures « dans les usines à feu continu ».

La CGT, de son côté, à la sortie de la guerre, ne faisait plus des 8 heures une revendication centrale.
La revendication ne figurait plus qu’en cinquième position dans les 14 revendications de son programme minimum. Elle y retrouvera une place centrale le 18 février 1919. La revendication des 8 heures avait été introduite tardivement en France avant-guerre. La première journée de manifestation internationale avait été organisée à l’occasion du 1er mai 1890. Le 1er mai 1906 avait été en France une exceptionnelle journée de lutte organisée autour des 8 heures par une CGT très combative, animée d’une ferveur révolutionnaire. Durant la guerre, elle s’était beaucoup assagie.

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L’hygiène et la sécurité des travailleurs en Alsace-Lorraine à la sortie de la grande guerre : l’exemple du Bâtiment

Si la première réglementation française de protection et de salubrité des travailleurs applicable aux chantiers du bâtiment date de 1925, une telle réglementation existait en Alsace-Lorraine depuis longtemps selon des modalités et dans un contexte tout à fait particuliers.

La corporation du bâtiment du sud-ouest de l’Empire était l’oeuvre de la « corporation (au sens actuel de caisse) du bâtiment du sud-ouest de l’Allemagne » dont le siège était à Strasbourg (1). Elle couvrait avant-guerre l’Alsace, la Moselle, le Grand-duché de Bade et la principauté de Hohenzollern-Sigmaringen. Elle était divisée en six sections ayant leurs sièges à Strasbourg, Mulhouse, Metz, Mannheim, Karlsruhe et Fribourg.

C’était l’une des 65 corporations de la Confédération des Etats allemands, organisées par branches d’industries et pour une circonscription déterminée de taille variable. Ces caisses étaient chargées d’organiser des assurances sociales, notamment contre les accidents du travail. La loi du 6 juillet 1884 les autorisait à édicter des prescriptions préventives contre les accidents du travail et à en contrôler l’observation. La loi du 30 juin 1900 exigeait qu’elles fournissent chaque année un rapport circonstancié sur la prévention des accidents du travail, avec des développements sur les observations faites par leurs inspecteurs techniques au cours de leurs visites de contrôle et sur les accidents qui, par leurs causes, avaient donné lieu à des observations spéciales.

Les premières prescriptions pour le bâtiment du sud-ouest de la Confédération datent de 1888. Elles furent améliorées et complétées plusieurs fois en 1894, 1906 et 1914. Un nouveau règlement préventif avait été mis à l’étude en 1912. Il était achevé en 1914 et en train d’être soumis à l’homologation administrative, lorsque la guerre éclata. Ce texte, complet et de qualité, constitue la réglementation applicable en Alsace et Moselle libérée de 1918 à 1925.

Les caisses régionales d’industrie étaient loin de faire appliquer leurs prescriptions de la même façon dans toutes les entreprises. On ne se dissimulait pas que le contrôle et les sanctions s’arrêtaient en général au seuil des grands établissements. Mais les règlements préventifs n’en présentaient pas moins une réelle utilité, car ils constituaient des guides officiels de la prévention contribuant efficacement à la vulgarisation des mesures de sécurité. D’autant que tout accident dû à leur inobservation pouvait faire encourir au patron une responsabilité pénale aggravée. Enfin, leur élaboration et leur perfectionnement posaient les problèmes de la protection ouvrière, incitaient à les résoudre, et sollicitaient, sur ces questions qui étaient discutées en commission mixte, l’intérêt des spécialistes des syndicats ouvriers et patronaux.

Aussi n’est-il pas douteux que les techniques de prévention ont fait d’immenses progrès en Allemagne dans les 35 années précédant la Grande Guerre, et ils sont à mettre au compte en grande partie de l’action méthodique et continue des caisses régionales d’industrie sous l’énergique impulsion de l’Office des assurances sociales.

Cette action est le corollaire nécessaire de l’assurance mutuelle obligatoire. La charge des accidents étant supportée par toute la profession, celle-ci a tout intérêt à réduire les risques le plus possible

Celle du bâtiment y avait un intérêt tout particulier, parce que le coût direct de la sécurité y est élevé, et que plus d’un employeur peut être plus ou moins tenté d’économiser sur ces frais pour pouvoir baisser ses prix. C’est une forme de concurrence déloyale, puisqu’il met à la charge de la collectivité ses accidents plus nombreux et abaisse abusivement son prix de revient. La profession a donc un intérêt immédiat à faire des règlements précis et à les faire appliquer.

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Loi du 11 juin 1917 sur la semaine anglaise dans l’industrie du vêtement

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Le point de vue des inspecteurs du travail sur les 8 heures à la veille de la loi de 1919, par Michel Cointepas

En décembre 1918, la guerre à peine finie, le ministère du travail réfléchit à une réforme de la réglementation de la durée du travail. Il pense en effet que « les conditions de protection ouvrière feront l’objet de discussions, soit à l’occasion du traité de paix lui-même, soit dans une conférence internationale qui serait convoquée ultérieurement. » Parmi ces questions, il y a celle de la réglementation des heures de travail. Trois projets sont à l’étude au ministère. Ils visent à réformer un dispositif des plus archaïques qui ne concerne pas le commerce, les transports et l’agriculture, ni les petits établissements industriels n’occupant que des hommes (la majorité), et qui ne couvre donc qu’une minorité de salariés :
 dans les usines et manufactures n’occupant que des hommes, la durée du travail ne peut dépasser 12 h (72 h par semaine) ;
 dans les établissements industriels occupant dans les mêmes locaux des hommes avec des femmes ou des enfants, la durée du travail ne peut dépasser 10 h (60 h par semaine) ;
 dans les établissements des industries du vêtement, la durée du travail ne peut dépasser 10 h les 5 premiers jours et 4 ou 5 h le samedi (soit 54 ou 55 h par semaine) selon les décrets d’application (parisiens exclusivement) d’une loi de 1917 ;
 dans les établissements industriels de l’Etat, les durées du travail tendaient avant-guerre à se rapprocher de 49 h par semaine (8 h par jour dans les arsenaux).

Les trois projets à l’étude au ministère sont les suivants :

  1. extension à toutes les industries du régime de la semaine anglaise (repos d’une demi-journée en plus du dimanche, le samedi après-midi en principe dans l’industrie), afin de réduire la durée du travail, tout au moins pour les ouvrières, à 54 ou 55 h (10x5 + 4 ou 5)
  2. institution de la semaine de 49 h réparties sur les 6 jours de la semaine par accords collectifs entre les intéressés ;
  3. adoption « purement et simplement » de la journée de 8 h.

Remarquons que la loi des 8 heures qui sera prochainement adoptée instituera en réalité le principe de la semaine de 48 h par accords collectifs de branche transposés en règlements d’administration publique, une solution proche du deuxième projet, le dernier étant « purement et simplement » la revendication de la CGT. Le premier est sans doute celui auquel réfléchissait encore la direction du travail fin novembre.

Le ministre demande aux IT une enquête sur les conditions dans lesquelles ces projets pourraient s’appliquer aux établissements industriels et commerciaux (en distinguant les petits et les grands établissements industriels, les petits et les grands magasins). Le ministre, craignant sans doute une levée de boucliers, croit bon de noter : « vous ne devez pas oublier que les réglementations dont il s’agit pourront faire l’objet d’accords internationaux, qu’elles seront par suite applicables dans tous les pays qui seront placés, à ce point de vue, dans les mêmes conditions sur le marché international . »

Une réponse urgente est demandée, un télégramme de janvier 1919 venant de surcroît demander les réponses par retour du courrier.

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La mise en œuvre de la loi des 8 heures en 1919

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